Le fil de la vie, comme le fil de la vierge d’une épeire, largué au petit matin entre cistes et genêts, taquine les aléas. Un pont fragile et ténu jeté dans le hasard par des bébés araignées au seuil de leur vie pour jouer aux funambules. Une soie offerte au souffle du vent matinal, un premier coup de dé.
Un passage sans retour, rencontrer les épreuves et le vécu qui impriment ou imposent la vision des choses. Les sourires, les douleurs pressent leur estampille sur la peau de la vie…
J’avais cinq ans lorsque mon petit frère Jules est mort. Je le tenais par la main en descendant l’escalier du couloir qui menait vers la rue. Il a heurté sa tempe contre la rampe. Un mouvement brusque, le choc contre la rampe et puis plus rien. Je n’étais pas seul, ma mère était derrière moi… Le drame. Il avait dix-huit mois, c’était un vingt-six septembre. Comme un signe venu d’ailleurs, presque jour pour jour, le trente septembre de l’année d’après, ma petite sœur Antoinette s’avançait sur un mauvais fil. Elle avait dix-sept mois lorsqu’elle est partie des suites d’une cholérine. Une forte déshydratation causée par une diarrhée intense l’emportait. L’année suivante, je fus trainé sur une cinquantaine de mètres sous une Rosalie décapotable. Accroché par le bras et à moitié scalpé. Je ne dus mon salut qu’au courage de villageois qui ont stoppé le véhicule et m’ont sorti de ce mauvais pas, alors que le chauffeur paniqué avait perdu les pédales… A plusieurs reprises, on me promit le cimetière. Assailli par toutes les maladies de l’époque, j’étais, parait-il, condamné au trépas. Je suis encore debout.
Mon fil est le cimetière. C’est mon champ de vie. Un endroit qui fourmille de souvenirs.
Tout a commencé avec les obsèques de mon frère et de ma sœur. On m’a gardé éloigné, je n’ai pas assisté aux funérailles. Un refoulement qui va jouer son rôle par inconscient interposé.
Orchidées sauvages dans le cimetière de Lévie. Une flore riche et pleine de vie où chantent les grillons.
Dès l’âge de dix ans, je passais des après-midis d’été au cimetière. Non pour me recueillir mais attiré par le chant des grillons. Une diversion peut-être. Aux heures les plus chaudes, je m’étendais dans les herbes hautes, le regard pointé vers les terriers, l’oreille contre l’entrée pour écouter les bruits des cricris. Avec une longue paille, je les titillais dans leur antre pour les faire sortir précipitamment. J’ignorais qui était mâle et qui était femelle mais je constatais bien la différence. Ces entrées et sorties m’amusaient beaucoup…
A dix-sept ans, je me formais aux contrastes de la vie en m’aventurant le soir après minuit devant la grille du cimetière, seul face au frisson. Des peurs inventées, provoquées pour torturer l’esprit et faire frémir le corps. Des montées d’adrénaline sous la lune qui voulait bien jouer avec moi. Ce rôle inquiétant lui convenait parfaitement, elle invitait le vent et les nuages à jouer avec nous. J’étais perdu entre ciel et terre, entre mystère et réalité, seul au monde. Une manière toute personnelle de sentir la fragilité de la vie avant qu’elle ne décide elle-même. (Voir le texte « Balade en novembre après minuit »).
A trente-quatre ans, je passais une partie de la nuit, de minuit à trois heures du matin, assis sur la tombe de mon père la veille de mon retour sur le continent, à remonter le temps. C’était une manière de m’imprégner de l’ici, puissamment, si d’aventure, je devais finir de l’autre côté de la Méditerranée. Je ne voulais perdre aucune miette de ma préférence, en cherchant à maîtriser ce que ma volonté pouvait emmagasiner…
Puis, il m’est arrivé de parcourir les tombes, mes textes sont nombreux, pour imaginer des épitaphes. Les inventer comme un jeu de philosophie pour parler de la vie. Des condensés jetés au vent en espérant qu’un quidam s’y pose un instant. Eveiller sa manière de communier, de rêver sur ce qu’a pu être la pensée d’un autre. Des mots qui ricochent perpétuellement pour prolonger en secret un souffle qui a vécu.
Je ne suis pas une personne lugubre, ni pessimiste, ni à caractère morbide (morbide signifie malade et non mortifère)… La mort est mon fil de vie dont le miroir est le cimetière. Un filigrane qui m’impose l’épicurisme, l’ici et maintenant et me rappelle que demain n’existe pas.
Et mon sempiternel aphorisme d’agnostique me serine plus fort encore : Celui qui a intégré la notion de temps ne se préoccupe plus du sens de la vie et se passe de l’idée de Dieu. Le bout de fil qui reste, toujours incertain, est le plus précieux, le plus intense des épilogues.
La vie est un fil,
Une soie qui joue au vent.
La brise et les alizés la bercent,
Le siroco l’assoupit
La bise la cingle
Le mistral la ballote
La tramontane et l’autan
Lui chantent la rose des vents.
Une bourrasque, un blizzard, un typhon…
Il faut pas croire,
Un souffle léger, un zéphyr
Suffisent parfois
Pour filer sous le vent.
La vie ne tient qu’à un fil
Qui rassure ou inquiète,
Une voie incertaine
Qui ondule dans le vent…
*Un poème d’un genre nouveau, sans rime et cadencé sur le rythme du 2, 6, 5, 4 vers, avec le même mot à chaque fin de strophe, mot précédé d’un déterminant différent, qui à l’instar d’un sonnet se nommera un jour le simonet. Un clin d’œil au lecteur.
Au fil du vent, au gré du Temps qui passe (avec d’étranges coincidences astrologiques ?…) et une réponse épicurienne et salutaire qui nous autorise un questionnement sur le destin.
Au fil du vent, au gré du Temps qui passe (avec d’étranges coincidences astrologiques ?…) et une réponse épicurienne et salutaire qui nous autorise un questionnement sur le destin.
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