Recevoir des commentaires à la suite d’un texte est assurément une bonne chose. Le mot amical est pour moi, parfois, source d’inspiration. L’occasion d’éveiller une autre idée assoupie quelque part dans ma mémoire et qui ne demandait qu’à être réveillée par un simple chuchotement.
C’est le cas aujourd’hui. Dans un commentaire précédent, je lisais : « … évoque un temps qui s’est enfui, celui de l’enfance, celui d’une époque, celui d’une île aussi, peut-être… ou d’un village. » Cela a suffi pour que surgisse le problème de l’indivision qui transforme nos quartiers.
En fait, je devrais parler du « sortir de l’indivision » et non de l’indivision qui pose problème au fisc plus qu’aux personnes concernées par le partage. Au fil des générations, les choses se compliquent avec le nombre impressionnant des héritiers. Le problème devient insoluble, sa résolution n’est quasiment jamais sereine avec son lot de cris et de dérangements.
J’ai connu des partages presque simplissimes à réaliser qui se sont perdus dans des fâcheries féroces, laissant des traces durant de nombreuses années et plus souvent à vie. Il suffit parfois d’une babiole pour déclencher une guerre et des alliances contre nature. Des cousins qui se détestaient se retrouvent dans le même camp rien que pour défavoriser un plus proche parce qu’il prétend avoir les mêmes droits sur le même objet futile. Un objet que l’on dit chargé d’affectif pour le rendre plus important qu’il n’est, chacun prétendant que la grand-mère, car c’est souvent la référence, aurait penché pour lui. Je crois que cette grand-mère les aurait corrigés à coups de balai si elle était encore en vie. « A capiati » comme on dit par ici. Une arme hautement symbolique puisqu’elle la maniait au quotidien bien avant l’aspirateur. Dans presque toutes les familles on retrouve les mêmes partages douloureux. Quelques années passées, on se rend compte que la personne favorisée n’était pas la plus sincère. Trop tard, le mal est fait. Les regrets ne servent plus à rien.
A maigre bien, entente difficile et le dérisoire se mue en argument de haute importance. Lorsque le plus insignifiant des bibelots devient objet de discorde c’est que la convoitise sommeillait en laissant croire que tout était parfait dans le meilleur des mondes. Il ne faut pas s’étonner, aussi, si nos quartiers ne sont plus ce qu’ils étaient avec l’éclatement des mentalités, des histoires qui avaient pris corps au fil des années en tissant des liens d’amitié et de partage entre ses habitants.
C’est de la sorte qu’un patrimoine construit dans l’amour de la famille, un lien si fort, se déchire. Une belle harmonie s’effondre en une génération parce que le sortir de l’indivision fait loi. Comme si l’on avait lâché des chiens affamés, tenus en laisse jusque-là. C’est terrible de constater que des gens réputés paisibles et mesurés se montrent acharnés, perdant tout sens du raisonnable. Le patrimoine qui les a construits les détruit aujourd’hui.
Lorsque ma grand-mère était vivante, personne n’aurait osé prétendre à quoi que ce soit. Son autorité naturelle chargée de bon sens tenait toute la maisonnée dans la quiétude. Chacun faisait sa vie et se retrouvait dans la maison de son enfance le temps des vacances pour se ressourcer. Ce lien très fort avec le passé entretenait nos sentiments serrés autour d’une construction de valeurs très sûres… Et puis, on découvre que cette force n’était qu’apparence. Cette faiblesse cachée de la possession devient cruauté. On ne se gêne plus, on s’affiche et on crie ses droits plus hauts que ceux des autres. Tout s’effondre, on fait n’importe quoi jusqu’à perdre la raison. Le bon sens, que l’on croyait si bien partagé dans ce monde, vole en éclats.
Dans ce genre de conflit, il faut inévitablement, lorsque les prétendants ne sont pas trop nombreux, que les plus lucides s’effacent pour ne pas sombrer dans le travers qu’ils dénoncent. Certes, faut-il mettre les choses au clair même si les plus hargneux se fichent de la clarté. Lorsque l’argent est en jeu les yeux s’écarquillent et deviennent fous jusqu’à s’exorbiter de rage. Il faut un perdant et c’est souvent celui qui a compris que le nœud est plus que gordien. Pour ne pas trancher à vif, il se retire serein, en paix avec lui-même. Serein n’est pas le meilleur qualificatif car il en reste toujours une amertume même contenue ou tue.
Celui-là agira sans cris ni dérangements. Il gardera au fond de lui toutes ces belles images du passé comme le garant des vraies valeurs de la famille. Ce sera son héritage le plus précieux. Cette vie construite dans l’amour des siens. C’est lui qui recèle la fortune de son passé, qui prolonge la vie de ses aïeux en perpétuant leur sourire, en disant leur bonté, leur labeur, leur difficulté de vivre sous un toit à la tuile poreuse, un toit qui fuyait les jours de pluie. C’est lui qui se souvient des joies et des peines, du bonheur, de la tristesse … de la vie d’alors. Plein de souvenirs vivent dans sa tête… tant de souvenirs qu’il ne peut trahir la mémoire de ceux qui ont bâti la famille qui se déchire aujourd’hui.
Je suis de ceux-là. Jamais, je ne serai la cause d’une fracture. Je préfère m’en aller en silence, il n’y a jamais rien à gagner dans ces choses-là. De l’arrogance, de la bêtise et un bien qui finira très vite dans l’escarcelle d’un petit fortuné du moment. Un étranger à cette vie passée et qui se trouve à l’affut d’une opportunité. Toute une saga qui va disparaître, comme ça… pour une poignée de dollars.
Il n’est pas certain que « le sortir de l’indivision », coûte que coûte, soit une bonne chose pour la Corse. C’est notre âme profonde qui s’en va. Il y avait, sans doute, d’autres manières de résoudre le problème mais de nos états d’âme et de notre identité, on s’en fiche.
Ce sont les choses de la vie…
Malgré l’abandon, cette maison en ruines a gardé toute sa beauté énigmatique, encore chargée de vie. Je vois ces gens qui vivent dans mon imaginaire. Ont-ils été heureux dans ce coin de paradis ? J’écrirai leur histoire, peut-être.