Ceci n’est pas une fausse brindille mais une mante religieuse. (Cliquer sur les photos)
Pour une fois j’ai un gros doute sur mon titre. Je n’ai rien trouvé d’autre pour donner une accroche qui aiguiserait la curiosité du lecteur. Rien de bien transcendant mais cela mérite un peu de réflexion tout de même.
Ce matin à la très fraîche, j’écoutais les infos qui généralement vous donnent le bourdon pour le restant de la journée. J’ai tendu l’oreille en entendant que 4 à 5 élèves, grosso modo, par classe ne croient pas aux attentats. Ils pensent que ce sont des complots inventés pour servir les politiques ou on ne sait qui d’autre. Cela ne m’a pas étonné. Faites un tour sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires qui suivent l’article d’un média en ligne, vous serez fixé sur l’état d’esprit des adultes aussi.
Je n’étais pas surpris disais-je, mais quelle drôle d’époque. Non pas que cela n’existait pas avant… aujourd’hui tout se sait grâce à la toile et à l’info plus rapide que l’éclair. Une info qui n’a même plus le temps d’être digérée puisque l’autre chasse l’une en cours de digestion. On s’habitue et l’appétit vient par l’information en boucle plus qu’en s’informant. La boulimie s’installe, on devient consommateur de nouvelles vite défraîchies car la suivante, encore meilleure, bouscule tout. Les journalistes ne parviennent plus à suivre et balancent comme ça vient, parfois sans contrôler les sources. On s’adapte puis on boit ce petit lait quotidien qui viendrait sans doute à nous manquer si on nous servait matière plus consistante à traiter.
Cela m’a renvoyé quelques longues années en arrière. J’ignore s’il existe un rapport entre tout cela mais l’idée s’est imposée comme déclenchée par cette absence totale de sens critique, ce sens d’analyse qui demande un peu de recul et de temps avant de porter un jugement.
Je me suis souvenu du temps où l’on pensait à harmoniser les notes et les appréciations dans les écoles. Il fallait alléger l’approche des exercices en les rendant accessibles à l’ensemble des élèves. Finies les questions qui demandaient la lecture approfondie d’un texte et la rédaction d’une réponse précise. Enoncer et rédiger clairement une idée ressemblait à un calvaire pour les moins doués des écoliers, il fallait trouver une parade fut-elle fallacieuse.
On a vu fleurir un peu partout les fameux questionnaires qui appelaient la réponse OUI ou NON. Pour s’assurer que tout le monde avait compris un texte, on répondait en cochant la case affirmative ou négative. C’était simplissime, rapide, facile à corriger avec un œil exercé pour pointer la litanie de la bonne suite des « oui, non » en suivant toujours le même parcours avec la pointe du stylo. Au bout du compte, même l’enseignant n’avait plus besoin de réfléchir en évitant de rentrer dans les détails. Il n’y avait plus de détails avec ce système. Il n’était plus question d’apprendre à rédiger, ni exprimer clairement sa pensée. Il n’y avait plus de pensée élaborée. Les enfants étaient contents de ne plus se référer à un texte, contents d’éviter la torture d’une formulation écrite devenue angoissante. Chacun y trouvait son compte, les parents étaient rassurés par les notes qui s’amélioraient artificiellement. En exagérant à peine, on peut affirmer que l’exercice de lecture négligeait lecture et écriture avec ce moindre effort.
Lorsqu’une note habituellement basse pour un enfant devenait acceptable cela rassurait tout le monde et dispensait de chercher si la compréhension était bien réelle ou pas. On passait à autre chose allègrement. C’était cocagne, la conscience tranquille et les méninges au repos puisque le questionnaire, qui ne prouve rien, l’affirmait clairement.
J’avais demandé à une maîtresse, l’autorisation de tenter une expérience de lecture dans sa classe. Voici le protocole. Il s’agissait de proposer une situation totalement absurde avec un questionnaire de dix suggestions sur un texte inconnu et qu’il fallait identifier comme vraies ou fausses. Je disais aux enfants « Voilà un questionnaire, il faudra répondre en cochant la case OUI ou NON. Je ne vous donne pas le texte, ne vous inquiétez pas vous pouvez répondre sans l’avoir lu, vous verrez c’est rapide et facile, vous trouverez la bonne réponse sans difficulté». Voici un exemple : « La petite fille de l’histoire s’appelle Annie. Oui ou Non. » Ils étaient partants pour ce jeu original, amusant, prêts à tout, personne ne s’est inquiété de savoir comment c’était possible.
A la correction, il y avait quelques « copies » bien notées et pas forcément des bons élèves habituels. Cela a permis d’organiser un débat sur les notes. Comment était-il possible d’avoir une bonne note sans connaître le texte ? Deux observations se dégageaient : Le coup de bol répété du « pile ou face » chanceux et la certitude qu’il n’était pas possible d’avoir compris un texte sans l’avoir lu. La remise en cause de l’efficacité de tels exercices dont le principal intérêt est de se voiler la face devenait évidente. On n’est jamais certain qu’un enfant qui obtient 10/10 a vraiment tout compris après lecture puisque la part de hasard induit par « OUI/NON » joue son rôle, possiblement important en l’occurrence. Leurre absolu et tranquillisant.
Les enseignants sont conscients de cela mais l’exercice est tellement pratique qu’ils finissent par oublier cet aspect primordial des choses. L’idée se dissout dans cette pratique bien arrangeante.
Cette commodité permet de passer sans trop revenir sur l’approfondissement des idées, beaucoup plus contraignant et plus long à mettre en place… On file, file, en enfonçant inconsciemment dans les petits crânes qu’un survol rapide des choses est largement suffisant dans la vie.
Enseigner est un art difficile. Il n’y a pas de progrès dans l’art, c’est ainsi que depuis la scolastique d’un Tubal Oloferne* et l’humanisme d’un Ponocrates* dans l’éducation d’un Gargantua, rien n’a changé. Un humaniste du temps de Rabelais au savoir limité dépasse infiniment un enseignant au savoir plus large de nos jours. L’art et la manière, du recul et de la réflexion avant toute chose. Avoir une tête bien faite plutôt que bien pleine ou mal remplie ce n’est pas une mince affaire… Heureux les acteurs d’une telle rencontre. Apparemment cela ne court pas les rues…
*Tubal responsable d’une éducation (de Gargantua) par accumulation de savoirs inutiles et desséchants…
*Ponocrates proposait une approche humaniste, ouvrir l’esprit et la curiosité par une éducation joyeuse qui tient compte de la personnalité de l’élève… Vers la sagesse et la liberté à travers la capacité à analyser et comprendre les choses…
Pour le plaisir. Une coccinelle en vadrouille non loin des véroniques, une mouche sur un prunus sauvage se frotte les mains, c’est bientôt le printemps.
Ces images, comme le texte, ouvrent à un humanisme…Merci, Simon, de nous rappeler que mieux vaut éduquer comme un Ponocrates … plutôt qu à la manière d’un Tubal…
Ces images, comme le texte, ouvrent à un humanisme…Merci, Simon, de nous rappeler que mieux vaut éduquer comme un Ponocrates … plutôt qu à la manière d’un Tubal…
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