Quand le ciel s’allume.

IMG_0766-002Cliquer sur les images.

Comment ne pas rêver ? Devant ma petite fenêtre, je vois le monde. Dans le brouillard ou sous la pluie, les oiseaux se taquinent; le noyer, impassible, se laisse bercer par le vent.

Chaque jour m’offre un spectacle nouveau, pourtant l’embrasure de la fenêtre est toujours la même et le même décor toujours changeant. Au loin, je vois Carbini, Oronu et Tirolu. Le soir, leurs lumières scintillent, tremblotent puis s’intensifient à mesure que la nuit se fait plus noire. Je sais que l’hiver, leurs rues sont désertes. On dirait que ces villages me font des signes de vie. Mais je crois que ce sont mes yeux qui clignent pour évoquer le souffle de ceux qui dorment non loin de leur maison. Ces paysans qui ont couru les jardins, entretenu des talus, ouvert des voies d’eau pour que leurs plates-bandes sourient.

Un homme vieillissant s’est assis sur une pierre juste sous le figuier. Sa chemise est trempée, son chapeau noir fait de l’ombre à son visage fatigué. Il est impassible et soucieux, le regard bas rivé vers le sol : Qui prendra la relève ? Tout le monde est parti, que deviendra mon petit paradis ? Il ne dit rien pourtant. Les pensées qui traversent son esprit deviennent évidentes et se lisent sur son front buriné. Il semble triste en revisitant son passé, en retournant dans ses jeunes années lorsqu’il ne songeait qu’à construire. Ses mains sont épaisses et ses doigts moins agiles. Sur sa paume calleuse dont le cuir sec a résisté à la serpe, la faucille, la bêche et la houe, un morceau de pain trempé de jaune d’œuf, huileux et fortement poivré lui servira de casse-croute matinal. Sa femme, encore vêtue de noir, taciturne aussi, l’a regardé partir ce matin. Elle avait préparé sa musette, le pain de campagne fourré aux œufs frits des deux côtés. Quelques tranches de panzetta ou de vuletta, du prisuttu ou du salamu* lorsque le cochon a été généreux. Elle aussi, montre un visage profondément ridé comme des crevasses dessinées par les pluies et le vent d’une jeunesse enfuie.

DSC_0046Parfois, assis côte à côte au fond du jardin, ils esquissent un sourire aux premières courgettes qui leurs offriront leurs premiers farcis. Les tomates sont prometteuses, il y aura de la sauce et du double concentré (a cunserva) pour cet hiver. Les haricots Soisson sont encore trop jeunes, la plantule vient de sortir seulement. Mi secs, avec de la morue dessalée ou des morceaux de panzetta, il fera bon à table, l’automne venu lorsque le brouillard montera de la vallée. Il sera temps de penser à l’hiver, à la nuit qui tombe tôt, aux longues veillées devant la cheminée à retourner sans cesse dans le passé. Serons-nous encore de ce monde aux premières violettes ? Le village est vide, les forces vives sont parties ailleurs pour fonder famille et vivre autrement.

IMG_0927Ziu Antonu et Zia Maria se dévisagent sans dire un mot. Ils se comprennent du regard, leur vie tire à sa fin. Qui partira en premier ? Ce sera difficile pour celui qui restera, il faudra s’en aller d’ici pour être à l’abri. A l’abri de quoi ? Puisque tu es parti, je viendrai te tenir compagnie. Là-bas, nous serons tous les deux, je te prendrai la main pour sentir ta présence. Nous serons seuls, ensemble pour toujours…

Nous sommes passés par ici, nous avons vu et nous n’avons rien compris. Notre chambre était sombre et froide, elle sentait le remugle. Le monde clos, les jours et les ans ont filé…

IMG_0762Un soir à la brunante, juste avant la tombée de la nuit, le ciel s’est allumé pour m’inviter à rêver. Des milliers d’images, comme les étoiles, fourmillaient dans ma tête. Je n’ai pas connu Maria et Antonu, ce sont les hasards de ce monde qui les ont mariés dans une maison isolée du côté de Carbini pour m’aider à retrouver mes souvenirs d’enfance.

  • Vuletta = joue de cochon séchée, prisuttu = jambon, salamu = saucisson

Publicité

Un commentaire

  1. …Peut-être, Simon, évoques-tu le drame de la Solitude ? …Mais, à travers ces vieux personnages imaginaires (plausibles !) Ziu Antonu & Zia Maria, dont tu pressens les mains calleuses attachés aux divers travaux de la campagne d’une époque que nous n’avons pas connue, le Temps d’une autre jeunesse ?… Mais cette Solitude, disais-je, est infiniment plus riche en souvenirs qu’un Présent qui nous fuit ! Où serait le Drame ? …Dans la puissante nostalgie ? Lorsque les figures qui nous accompagnent ont certes disparu et que les jeunes générations incompréhensibles & incompréhensives (avec leurs « codes ») se sont éloignées ? Lorsque les Disparus sont plus que jamais présents, poétiquement, immortels comme nos propres souvenirs, à la faveur d’un rayon de soleil ou d’un arc-en-ciel qui revient après plusieurs jours de pluie. Est-ce le souvenir des jours heureux qui est cruel dans les jours de peine ou, bien au contraire, consolateur ! (les poètes citaient Dante) …Immuable au fond reste la Nature ! NOUS, nous changeons, jour après jour. Cela a son charme. La mémoire de l’humanité reste quasiment identique quand on lit les grands anciens (les Grecs de l’Antique Cité athénienne, ou les Romains qui les ont suivis). Nostalgie nous assagit, et à défaut de nous rendre Sages, rend le présent plus supportable. Au grand plaisir de te relire, Simon. Merci pour ces textes finement ciselés et tes mots imagés par la mémoire native en perpétuel devenir.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s