La bonne idée, certains diront idée saugrenue.
Le séjour d’Yvon tirait à sa fin. Nous sommes avancés en âge, allez savoir si la vie nous réserve encore quelques bonnes surprises. Je lui ai proposé une visite sur mon futur lieu de sépulture. C’est là que vous pourrez lire mon épitaphe finale à propos de l’idée de Dieu :
« Tel un César vaincu, je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris. Oh, j’aimerai bien refaire un tour, non pour comprendre mais pour le plaisir, le cultiver encore une fois. »
Après c’est promis, je ne réclame plus rien.
Vous pensez qu’on m’accordera cette faveur ?
Peut-être la métempsychose m’offrira-t-elle une nouvelle vie en truite ou sanglier. J’adore les endroits sauvages où je peux déambuler en toute liberté loin de la folie des mégapoles. Bon, je me méfierai, tout de même, des hameçons et des coups de fusil, j’en connais déjà un bon bout…
Nous visitions des tombes, d’abord au hasard, puis les fosses où reposent mes ascendants, celle encore fraîche de ma mère qu’Yvon a connue.

Les fleurs d’automne se montraient accueillantes. Le colchique, très chic avec sa jaquette rose mauve et son nœud papillon ébouriffé tout jaune, nous regardait passer… Sur le talus qui borde l’abri de ma tante Marie la sacristine que j’évoque souvent, le vieux rosier tout gris, nous offrait ses plus belles fleurs d’une écarlate éclatante. On aurait dit, qu’il avait sorti sa plus belle parure pour saluer notre passage parmi les défunts.

Sur le monticule encore bien marqué d’une fosse, des pieds de tomate prospéraient. En pleine santé comme aucune autre solanacée ne le fut cette année dans nos jardins. Deux beaux fruits d’un rouge profond et au parfum prononcé arrivaient en fin de maturité, probablement allaient-ils éclater sans la cueillette immédiate. Un gratin d’aubergines tout droit venu du cimetière traversa mon esprit.

Deux aubergines épluchées coupées en tranches pas trop épaisses, ni trop fines, allaient s’assouplir au four dans de l’huile d’olive. J’ai compoté un gros oignon pour recouvrir une seule couche d’aubergines et napper le tout d’une réduction des tomates du cimetière mariées avec deux bonnes poignées de Comté râpé. Je passe sous silence sel et poivre et j’ai gratiné. Me voilà devenu presque végan puisqu’il y avait produit laitier… disons que je me fis « vagné » ou faux végan, par anagramme, pour ce coup-ci. Un délice tout droit sorti d’outre-tombe à la faveur d’une double bonne idée. Celle incongrue d’aller visiter des morts avant la Toussaint et celle du cultivateur des nécropoles qui a su tirer profit d’une terre devenue féconde par décomposition des trépassés.

Du cimetière à la table de la salle à manger, il n’y a qu’un pas et de la table au cimetière un autre pas dont je prie le divin de me l’interdire encore quelques temps. Comme je suis agnostique, je compterai sur ma vigilance pour regarder où je mets les pieds… Hélas cela ne dure éternellement, un faux pas est vite arrivé.
J’adore titiller la faucheuse, elle n’a rien d’autre à faire, et moi donc qui glande, j’espère la distraire encore un peu.

De mon emplacement éternel voilà la vue que j’aurai de mon village. En arrière plan, Cacareddu, la colline de mon enfance.