Gens d’ici.

C’était un mercredi de décembre, le temps tempétueux depuis deux jours. Un vent à l’humeur massacrante soufflait à s’époumoner pour décrocher les dernières feuilles récalcitrantes. Eole en furie, déchaîné devant tant de résistance. Sa fougue et sa rage s’en prenaient aux volets qui paraissaient fragiles sous ses coups de boutoirs et menaçaient de se décrocher, de s’envoler dans le ru en contrebas, di à Pardina.… Ses rafales courroucées ne faisaient aucune distinction sur leur passage au-dessous de la Cuncuruta, l’endroit où courent les sifflantes, tout était secoué, battu, brutalisé.

Ferdinand l’avait promis. Il ne tenait plus en place. Le jour était resté sombre mais le vent s’était calmé. Quelques soufflées sans grande volonté venaient, par moments, agiter mollement les branches presque nues.
Son désir de faire plaisir est intact. Il me rappelle mon père, perpétuant son art après la retraite, toujours heureux de retourner le champ des autres, toujours bêchant, toujours bêchant. Ces pauvres Martin, pauvres misères creusant la terre, creusant le temps ont toute leur vie ensemencé les printemps. Leur philosophie dénuée à l’extrême a parlé au rossignol, au rouge gorge hardi, au puceron ou à la coccinelle, très loin des diseurs de bonne parole sur les écrans de télé, qui sèment du vent récoltant des volées de bois vert et autres compliments.
Malgré sa forte corpulence, son habileté de bêcheur est intacte. Sa bêche fend et retourne la terre avec une aisance artistique en opposition avec sa silhouette massive.
Un travail parfait. Il bêchait, ratissait, me regardait comme s’il attendait une approbation. Il aime la belle ouvrage. Une terre fraichement sortie de chez le coiffeur, sans un tif qui dépasse, nuque et crâne parfaitement rasés.

Aujourd’hui, on ne bêche plus. Le temps n’est plus aux labours. On dit que c’est une hérésie de retourner la terre…

Ferdinand a posé les armes. Le virtuose de la pelle et de la pioche, un terrassier de métier, est usé d’avoir transporté des tonnes et des tonnes de tuf, de pierre de taille… Au temps de sa splendeur, je lui avais décerné la brouette de platine. Un diplôme dont il avait apprécié l’humour, remis un soir d’été à la Zinella. Il s’en souvient encore.
C’était le bon temps, le temps de notre jeunesse, des soirées interminables à la belle étoile. C’était le hibou qui venait nous reprocher de gêner la faune endormie dans le maquis environnant. Il se posait parfois à quelques mètres de nous, le regard sombre d’un instituteur des années cinquante, nous réprimandait d’un bouboulement sévère puis dans un battement d’ailes, lourd et silencieux, il filait vers le châtaigner finir sa nuit en espérant que nous parlerions plus bas…  

Je me souviens de ces nuits, nous faisions les fous, alertes et toujours prêts à travailler la terre inlassablement, dès le lendemain.

Dans les rues du village, Ferdinand traîne ses pas pesants. On le devine de loin à son allure chaloupée et sa démarche lourde. Il penche, du côté gauche je crois. Lorsqu’il entend ma voix, il se retourne difficilement, m’adresse un sourire franc pour saluer notre rencontre. Il est content.

Parfois, le regard perdu dans le vague, il s’évade dans le passé puis étonné, m’adresse :

  • Imbè ! Ti n’invenni ? (Tu t’en souviens ?)

J’acquiesce légèrement d’un geste de la tête sans rien dire, il a compris : Je m’en souviens parfaitement… Puis, il poursuit son chemin vers à Cuncuruta, le sourire encore au coin des lèvres, toujours égaré dans le temps.

Ces hommes paisibles, usés par le travail, aux épaules lourdes, devenues trop lourdes sous les ans.

Ce matin, il était content, il allait retrouver son frère.

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