Derrière les volets clos.

L’inspiration de ce texte m’est venue en regardant ces volets clos. L’auteur du cliché, Gaëtan Calmes était de passage dans notre région au printemps 2016. Mon intrusion dans la chambre a été possible dès qu’il m’a autorisé à publier sa photo en illustration. Texte et image sont intimement liés.
Ce texte est une réédition, encore un sauvetage après avoir intégré ce blog, en mauvais état.

J’étais en train de peindre mes persiennes à lattes comme celles sur la photo, c’est une vraie galère. Celui qui les a inventées a dû être condamné à repeindre tous les volets identiques du purgatoire. Une perpétuité dont il se souviendra, il maudira son invention et ne recommencera plus 😉

Les volets sont fatigués d’avoir battu à tous les vents. Des tonnes d’eau les ont délavés, lessivés puis vieillis. Avec Éole son complice, la pluie a creusé les rides du temps à chaque fil, chaque grain du bois, pour donner aux persiennes l’âge de ses gonds rouillés. La vieille fenêtre semble désormais branchée sur un respirateur artificiel. Une gaine noire pénètre presque sous son menton comme une trachéotomie qui assure la survie d’une chambre endormie dans un crépuscule qui s’éternise.

Pourtant son histoire est belle. Ses battants protecteurs et taiseux ne voudraient dévoiler aucun secret. Derrière leurs ouïes qui étouffent la chaleur et filtrent la lumière se sont joué bien des vies. Des rêves, des vies rêvées, des joies et des peines, des douleurs aussi. Il y a eu des envies, il a eu des refus. Il y a eu des soupirs, des secousses, des montées au paradis et des descentes aux enfers parfois. Dans le silence d’une chambre, dans la chaleur d’un lit bien des murmures ont dit et puis se sont tus.

Les murs sont épais, la pièce est sombre et sent le remugle. Les cadres affichent des icônes d’un autre âge. Des saintes au sourire de miel, aux mains de flanelle et au cœur offert pour apaiser les esprits. Une vieille herbe de l’Ascension est suspendue au-dessus de la tête du lit et veille encore sur les âmes endormies. Désormais desséchée, momifiée par le temps, devenue cassante, elle dodeline son squelette poussiéreux sous le moindre souffle léger. A son côté, una crucetta, une petite croix tressée dans une feuille de palmier, légèrement penchée, semble pointer sa flèche vers le côté gauche du lit. Des symboles religieux qui survivent au passé livrent encore des signes… On dirait que le temps s’est assoupi derrière les volets et file vers l’éternité en baignant dans le calme recueillement d’un purgatoire.

Juste en face de l’oreiller qui gonfle l’édredon, le portrait d’un bisaïeul, d’un trisaïeul peut-être, exhibe sa barbe blanche épaisse et sa moustache qui rebique vers les cieux. Un air d’Artaban ou celui d’un pape sévère qui a pontifié il y a très longtemps. Dans un coin plus sombre, une grand-mère tout aussi sérieuse semble attendrie, le regard tourné vers la couche. Leurs images pèsent sur le lieu et parlent dans le silence d’une histoire achevée. Ces présences très marquées habitent encore la chambrée.

Ici, on dort. C’est lieu de passage et de repos mais aussi endroit secret où naissent rêves et envies.

Le petit garçon, au sommeil trompé par des petits grognements, a déployé son vol de rapace pour survoler les environs. En quelques tire-d ’ailes le voici planant au-dessus du maquis. Derrière les arbousiers, bien à l’abri sous les bruyères et les genêts, les marcassins ont pris quelque liberté pour se gaver d’arbouses bien rouges et déjà bien farineuses, trop mûres sans doute. Un jour, le garçonnet ira les voir de près… s’il parvient à les approcher.
L’estivant de passage dans la famille, a trouvé le lit trop haut et trop grinçant. Trop en cadence aussi, avec les mouvements imprimés pour un plaisir solitaire ou partagé. Il a souri puis il a ri voyant les personnages qui semblaient lui imposer un peu de respect. Parfois, le premier jour, un fou rire irrépressible coupe toutes les envies du soir… Demain, il faudra baisser les yeux et oublier l’environnement, se réfugier dans d’autres images inventées pour éviter les regards réprobateurs.

Ici, grand-père a fini ses jours. On sent encore l’odeur de sa barbe puissamment imprégnée de tabac froid. On dirait qu’il a marqué son territoire. Le bois du vieux lit encore solide mais devenu légèrement branlant est imbibé des parfums d’une vie ancienne. Le patriarche s’est définitivement endormi un jour d’hiver comme s’il ne voulait pas mourir au printemps, évitant bien des regrets en entendant le rossignol chanter.
Grand-mère avait pris grand âge toujours de noir vêtue, portant le deuil de ses ascendants, de ses collatéraux, de ses enfants peut-être. C’est là qu’elle repassait et ruminait ses souffrances, c’est là qu’elle s’endormait fourbue d’avoir trotté, traîné de la cave au grenier, d’avoir arpenté le jardin ou d’avoir piétiné longtemps devant les fourneaux. Ces gens-là ont tout livré à cette chambre sans dire un mot. Une communication tacite dans la pénombre, qui charge progressivement l’atmosphère puis marque les murs de toute leur histoire. Il suffit de savoir lire dans les odeurs pour en découvrir les vies encore flottantes. Les détails surgissent à retardement par simple révélation ambiante…

Ces gens-là, je les ai connus et cette fenêtre qui cherche à préserver l’intimité d’un intérieur n’a finalement réussi qu’à réveiller mes souvenirs. Aïeux et bisaïeux défilent sous mes yeux et revivent en filigrane sous les touches d’un clavier.

Un jour, après grattage et ponçage quelqu’un repeindra ces volets. La fenêtre pimpante, aux évents et ouïes épanouis racontera une autre histoire. Pas tout de suite. Seulement lorsque les rides manifesteront les signes d’une autre aventure car l’aventure n’est jamais toute neuve, il lui faut un passé pour émouvoir.

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