Hélas !

La canicule sévit gravement.
Je vis cloitré dans la pénombre, la chaleur vient me saisir dans mon coin que je croyais à l’abri de tout. Elle m’empoigne, m’étouffe, l’œil se fait torve, la langue pendrait presque, et le front dégouline de sueur. Non, je triche un peu, je n’en suis pas là, mais je l’imagine.
Quelle idée d’avoir fait l’impasse sur la clim !
Je voulais rester dernier des Mohicans dans ma contrée isolée, pas de chichis, pas de fanfreluches, pas de beau décor chez moi, que de l’utile et de l’agréable. Ici, on vit on ne parade pas.
Pas de piscine, je m’en fiche et pas de clim, je commence à le regretter.
Mais j’ai un jardin avec quelques légumes et des arbres fruitiers souvent généreux.

En quelques petites décennies, nos chers villages ont fortement décliné, se vidant progressivement de leurs forces vives. La fonte inéluctable des commerces, l’extinction soufflée de l’artisanat, le séchage progressif des services publics, la valse-hésitation du corps médical, je reste peu et je m’en vais, le réchauffement climatique annoncé qui s’installe… Tout cela n’est pas de bon augure.
L’église tient le coup, tant bien que mal, le clocher tinte encore à la volée pour annoncer une messe dominicale ou sonne le glas pour la triste nouvelle.

L’espoir s’amenuise, d’année en année, de finir sa vie dans le village natal.
Avec l’âge et la mobilité réduite, il n’est pas très malin de tomber malade les trois derniers jours de la semaine. Les tracasseries s’amplifient avec un robinet qui lâche vous obligeant à condamner plusieurs points d’eau et l’incertitude absolue de savoir s’il sera possible de trouver un dépanneur plombier à quelques kilomètres à la ronde. Ajoutez à cela, les effondrements dus aux intempéries, les chemins à renforcer, le débroussaillement… cela devient vite galère.
Comment voulez-vous finir vos jours dans l’endroit que vous chérissez, avec ce sentiment d’impuissance et d’abandon ?

Il y a à peine moins d’une décennie, on pouvait compter sur un camion de tuf, un transport de briques, un bêchage de jardin, un coup de main salvateur pour n’importe quel pépin…
C’est fini.
L’indifférence semble gagner progressivement notre monde rural comme si l’humeur suivait la tendance de la déconfiture généralisée. A ces paroles, on sourit, on minimise, sans conscience réelle de ce déclin, on s’en fiche.
Certes, que voulez vous faire ?

Cette impression d’impuissance altère fortement le rêve d’une vie commencée, poursuivie et terminée ici. En moins de quatre mois, seulement, j’ai vu la nature reprendre ses droits et effacer toute trace de vie. En décembre, j’abandonnais mon petit élevage de poules contraint et forcé par certains impératifs, fin mars, la végétation avait envahi les lieux. L’orge, le blé, le maïs laissés par les poules ont transformé l’endroit en champ très prospère.
J’ai vu là, l’image d’une fin annoncée, plus que certitude d’abondance trompeuse.

Le plus difficile sera de fermer ma porte pour la dernière fois, laisser mes clés à quelque acheteur et m’en aller sans me retourner, emportant toute ma vie, pliée, enfouie dans un baluchon que je n’oserai plus ouvrir.
Jamais, je n’ai pensé qu’un jour, je trahirai mon coin inventé, créé au fil des ans par mes soins.
Ma Zinella, mon four à bois, mon jardin, mon bassin, mes grenouilles, mes lézards, mes serpents, tous mes oiseaux, mes coccinelles… toutes mes fleurs et mes étoiles qui brillent au-dessus de ma maison, tout ce monde qui vivait avec moi, je l’emporterai dans ma mémoire.
Je serai triste, subissant le plus grand déchirement de ma vie avec le sentiment d’abandonner la maison que j’ai construite et qui porte le sobriquet de mon père.
On l’appelait Siki.

Hélas ! Disais-je en titre, bien plus que cela, c’est une catastrophe.
Saurais-je rebondir ailleurs ?
Le temps n’est plus très long et pour l’heure rien n’est décidé, c’est juste un mauvais rêve. Sans doute un coup de mou devant les difficultés qui s’annoncent et celles qui surviennent, laissant sans solution.

Une sorte de blues de l’épicurien qui n’est plus rien, un carpe diem qui tire sa révérence et change de camp…
Il y a toujours un coin qui me rappelle… il y a toujours une lueur d’espoir.
Je me force à le croire.

Ma coccinelle
Ma vesce craque
Mon gecko maous costaud.
Mes araignée sauteuses.
Mon bruant
Mes bousiers
Mes geais chapardeurs.
Mon hérisson qui se trompe de compagne.
La lune qui n’ose pas me regarder partir… Elle a trouvé lucarne et se cache pour ne pas me peiner.
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12 commentaires

  1. Hélas comme vous dites Simonu ! L’âge nous fait réfléchir à un tas de facteurs que l’on n’imaginait même pas ! J’habite en lotissement à 3 Km du centre du village, avec des voisins autour……. Mais une grande maison à entretenir avec son bout de jardin, je n’y arrive plus vraiment. Heureusement j’avais opté pour l’option clim ! et même si je la mets le moins possible optant pour le ventilo, je sais qu’elle est là………. Mais sans famille à moins de 800km je me vois mal finir ici sans pour l’instant voir se profiler l’ombre d’une idée sympathique. Même entourée de grandes surfaces, de milieux hospitaliers, d’amis, je n’ose pas penser à ce que je ferai lorsque je ne serai plus apte à conduire……….
    Reste le Carpe Diem effectivement celuui-là il vaut mieux le pratiquer mais pour combien d’années ????????

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    1. Oui chère Gibu, que c’est triste Venise…
      Chez nous, cela n’existait pas chacun pouvait compter sur les siens et finissait sa vie là où elle s’est toujours déroulée.
      Quelle misère ! On dit que c’est le progrès…

      Aimé par 2 personnes

  2. 😦 Snif. Coup de mou.
    Pour la clim, il n’est pas trop tard, elle peut même être réversible et vous chauffer l’hiver.
    Pour le reste, que dire… Petit à petit accepter que la nature reprenne ses droits, faire plus petit, faire moins.
    Mais partir… Oh Simonu…

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    1. Non Al, plus petit ce n’est plus chez moi, ce n’est plus ma vie d’autant que ce n’est pas si vaste que ça.
      Quelques maigres mètres carrés.
      Que la nature reprenne ses droits et qu’elle nous efface ok, mais alors cesser de raconter mes histoires…
      Ce n’est pas tant la nature qui est en cause mais le déclin des mentalités.
      Si la nature existe par elle même, à quoi bon raconter ? Et a-t-on la latitude de raconter, alors ?
      Ah ! Al ! On s’en va ?

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  3. J’avais déjà perçu dans plusieurs de tes textes les prémices de ces réflexions.
    En changeant quelques noms de lieux, éléments propres à l’Aratasca, quelques origines des pensées et quelques rares conséquences spécifiques je pourrais contre signer ton texte.
    Je ne vais ici ni le paraphraser ni le compléter.
    Il y a tant à dire et je n’ai pas de remède.
    Allons Simon.

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  4. Il me semble lire quelques unes de mes lassitudes survenant au fil des ans (ne plus jardiner parce que le squelette se venge… ne pas appeler à l’aide parce qu’on l’a jamais fait… mais qu’un jour tout lasse… oui… puis réfléchir pour rester …le plus longtemps possible… )
    Retrouvez votre moral et vos beaux textes … ils nous « aident à rêver .

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      1. Et le jour où vous n’aurez plus de « like  » comme ils disent ce sera mauvais signe pour la normande !
        Pour aujourd’hui : Je vous échange un peu de votre chaleur contre un peu de notre fraîcheur 😀

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      2. Ici, c’est l’enfer. Le four est en surchauffe, les arbres fruitiers en stress hydrique, certains ne vont pas tenir le coup, on verra plus tard.
        Quant aux « like », je me suis fais une raison.
        Etant donné que je ne vais pas voir ailleurs, je n’ai aucune prétention.
        Nous sommes quelques « amis » à nous saluer ici même et cela suffit à mon bonheur, le jour où ceux-là ne viendront plus, je me poserai des questions. M’en irai sur la pointe des pieds 🙂
        J’ai imaginé le coup de frais venu de Normandie mais je n’ai rien senti.
        Merci Chat normand, bon frisquet ! 😉
        PS. Je viens de comprendre, à l’instant seulement, ce que vous vouliez dire à propos du Like, re-merci pour votre fidélité, c’est bien agréable. Et pas de souci, soyez joyeuse.

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