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Comme vous le savez désormais, je ne suis pas un lettré. Je n’ai pas de culture littéraire à cause d’un apprentissage de la lecture long et difficile. On en porte toujours des stigmates. Je dois mon salut à une lecture en diagonale bien au point. Je grappille, je glane beaucoup et je retiens. Je commence toujours par la fin et ne remonte vers le début que si l’intérêt me porte vraiment. Le plus souvent je me trouve des raisons de ne pas aller plus loin. C’est curieux comme démarche pour quelqu’un qui a le goût du suspense. Je pratique ainsi pour toute lecture. Pour les articles surtout, plutôt scientifiques si possible, car des livres, je n’en ai pas connu beaucoup. Si peu et jamais, oui vous avez bien lu, jamais jusqu’au bout… Ma promenade, ma petite randonnée, je les tire comme je cours ma prétentaine dans l’écriture plus que dans la lecture.
Mon vocabulaire, je le dois au vieux dictionnaire de Denise de Marco. Ma voisine que l’on identifiait ainsi, « de Marco » son frère et non son mari. Nous étions deux Simon du même âge, on m’appelait Simon de Siki, le surnom de mon père, une habitude dans notre village. Ce vieux pavé du début du vingtième siècle à la couverture usée dont le carton cassé en deux ne tenait que grâce à sa toile bistre, était un cadeau secret et donc restait caché sous mon lit comme un trésor. C’est cela qui lui donnait tant d’importance et j’avais tout mon temps de le parcourir. Les images me parlaient lorsque le sens devenait moins accessible à la lecture seule. Combien de fois ai-je rêvé devant un mot nouveau ? Souvent des noms propres. Sindbab, Cipango, j’en ai pris des bateaux pour m’aventurer si loin de mon lit. Je ne connaissais que très peu la mer pour l’avoir vue une fois mais quelles croisières folles et surtout animées sur des océans déchaînés ! Toujours déchaînés, jamais calmes. Il me fallait ce risque sans risque pour voguer utile. Le vrai et le réel venaient à moi sans jamais les avoir connus, tout juste par l’évocation d’une phrase citée en exemple. Je voyage encore beaucoup dans ma tête bien plus qu’avec mes pieds et les moyens de communication. Cela me ressemble totalement, je continue à cultiver mon imaginaire comme mon jardin… pas forcément en solitaire. Je peux donc m’évader très loin jusqu’aux confins de l’Univers en m’inventant des mondes à ma convenance. Je n’ai jamais pensé à m’aventurer du côté du Paradis. Il y a trop de lumière douce, pas assez de coins obscurs, pas assez de tourments pour éprouver le besoin de se reposer à l’ombre un instant…
Le plus étonnant fut mon parcours professionnel, largement décrit dans ces pages du blog. Rendez-vous compte, venir en aide aux enfants en difficultés scolaires de lecture et d’orthographe, mes plus grandes infirmités lorsque j’avais leur âge. Sans doute, connaissais-je déjà le parcours pour mieux les accompagner. J’avais la patience pour les attendre, pour leur montrer un coin à visiter, pour faire quelques pas de plus. Je les comprenais, alors j’essayais d’autres outils, d’autres clés en cherchant à percer leur mystère. J’inventais de nombreux stratagèmes, jeux, exercices à partir de ce que je savais d’eux. Parfois, par intime conviction, sans aucune preuve tangible, je sentais bien que quelque chose bloquait dans leur esprit. Quelque chose d’irréparable. Fallait-il continuer et s’entêter ? Souvent, je persévérais mais par respect ou parce que d’autres insistaient et non par conviction de parvenir à un résultat. Et puis ce genre de pensée était à bannir car la morale veille, pas toujours à bon escient d’ailleurs. Poursuivre un chemin en sachant qu’on n’y arrivera jamais conduit tout droit à la névrose. J’avais l’esprit solide pour contourner cet obstacle aussi. Le recul, je le prenais lorsque je me retrouvais entre moi et moi, avec l’équipe éducative comme on dit, je suivais le mouvement. Ce n’était pas de la triche mais de la bienveillance car tout le monde n’était pas prêt à entendre certaines choses. Il faut du temps pour comprendre, cela servira à d’autres.
Avec les progrès de la science on grignotera beaucoup sur la psychologie largement gagnante sur tout ce qui ne peut être objectivé pour l’instant. Qu’un coin de personnalité soit obscur et le recours au psychologique devient secours. Certes, je ne nie pas sa part de vrai mais on a largement profité de la situation en toute bonne foi. J’en ai connu des psychologues qui avaient plus besoin de voir un psy que leurs patients. Des familles en étaient retournées, des mères culpabilisées au coin d’un autisme de leur enfant. Mais faut-il que l’on soit tous équilatéraux comme un triangle parfait ? Faut-il que nous soyons tous en équilibre pour tenter d’équilibrer les autres ? Probablement non, nous ne serions pas de ce monde. J’ai remarqué que le plus déséquilibré des psys dans sa vie personnelle, pouvait apporter beaucoup aux autres. Je me souviens de cette pauvre femme écartelée entre sa vie et celle de son enfant, incapable de gérer ce mouflet dont le père avait déguerpi pour conter fleurette ailleurs… Elle avait perdu la boussole de son éducation, cette boussole qu’elle offrait aux autres. Totalement larguée, elle ne savait plus quoi faire et pétait les plombs en public (devant moi) lorsque son gamin de huit ans lui balançait haut et fort d’aller « se faire enc… chez les Papous ». Souvent au bord de la crise de nerfs, elle m’implorait presque pour que je vole à son secours… J’avais une autre vie à préserver et je ne me prenais pas encore pour le Christ. Je faisais ce que je pouvais dans cette tourmente qui n’était pas la mienne et souvent cela suffisait. J’en ai vu défiler pas mal ainsi, avec à chaque fois une originalité propre à chacune. Entre celle qui cherchait à savoir si elle était désirable et bien plus, du genre b…able, celle qui ne supportait pas d’être appelée psy scolaire se disant clinicienne de surcroît à qui pouvait l’entendre, celle chargée d’égo et de désir de pouvoir absolu, il y avait un large choix. Ne vous étonnez pas si je n’ai pas cité d’homme, cette fonction fut exclusivement féminine dans mon parcours qui dura près de deux décennies et demi.
Toutes s’en sortaient plutôt bien mais jamais sans douleur.
Nous sommes, pour la plus grande part, des triangles quelconques aux formes et tailles multiples. Des larges, des étirés, des presque plats… Il existe bien des triangles rectangles à angle droit dans une botte, des isocèles à deux côtés parfaits, sage et patient, volontaire et déterminé mais probablement pas de triangles équilatéraux faisant miroiter la perfection. N’est-ce pas mieux ainsi ?
L’asymétrie est parfaite pour notre monde. Allez-y de vos imperfections, de vos blessures, de vos doutes, de vos erreurs, de vos quelques certitudes si vous en avez… Le monde n’attend que cela pour faire quelques pas hésitants et s’en sortir malgré tout, même cahin-caha.
Il faut bien que la vie chancèle pour connaître les faux pas d’ici-bas.
L’aspect géométrique de la vie ne me semble pas flirter avec le cas particulier d’un être équilatéral.
« Si les triangles faisaient un Dieu, ils lui donneraient trois côtés » Citation attribuée à Montesquieu. J’ajouterais pour la compléter … et serait équilatéral.
Quel bonheur d’être quelconque sans être nul, presque un amorphe capable de prendre toutes les formes. Quelqu’un trouvera bien son plaisir en vous trouvant une originalité.
Pas quelconque.
Comme un toit bancal mais fleuri.